Le CRI des Travailleurs
n°34
(novembre-décembre 2008)

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Réforme des concours de l’enseignement dans un contexte de crise économique :
Une nouvelle situation peut s’ouvrir dans le mouvement étudiant


Auteur(s) :Pauline Mériot
Date :6 novembre 2008
Mot(s)-clé(s) :étudiants
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Pour tenter de faire face à la crise, le gouvernement compte accélérer le rythme de ses contre-réformes. Outre les suppressions de poste, la remise en cause de l’aide sociale, la soumission encore plus grande des enseignants-chercheurs à une logique de compétition, le gouvernement annonce une réforme des concours de l’enseignement dès 2010 : seront touchés tous les concours (CAPES, CRPE, CAPET, CAPEPS, CAPLP, agrégation), y compris celui de CPE (conseiller principal d’éducation). Cette nouvelle contre-réforme accroît la logique de sélection sociale, en même temps qu’elle professionnalise encore davantage l’université : le gouvernement n’hésite pas à faire baisser le niveau de ses enseignants et, sous prétexte de leur enseigner la « pédagogie », il revoit à la baisse les exigences en termes de connaissance.

Une sélection sociale accrue

Désormais, pour pouvoir se présenter aux concours de l’enseignement, les étudiants devront être titulaires d’un master. C’est-à-dire qu’ils auront dû effectuer cinq années d’études contre 3 auparavant (et 4 pour l’agrégation) : en clair, les concours ne seront ouverts qu’aux étudiants en capacité d’avoir financé cinq années d’études. Or de moins en moins d’étudiants ont accès à des bourses, leurs montants ne prennent jamais en compte l’inflation, les aides au logement sont absolument insuffisantes et beaucoup d’étudiants sont contraints de se salarier. De surcroît, avec le « plan Réussite en Licence » (voire l’article d’Anne Brassac dans Le CRI des travailleurs n° 30), les stages en entreprises vont être rendus obligatoires dans tous les cursus : il est impossible de continuer à travailler (et donc à financer ses études pour beaucoup) quand on effectue déjà un stage, quant à lui non rémunéré, de 35 heures par semaine. C’est donc un nouveau critère social qui entre en compte pour devenir enseignant.

Par ailleurs, la loi prévoit que les étudiants choisissant un master d’enseignement s’y orientent dès la deuxième année de licence, dans le cadre de la professionnalisation imposée par le « plan Réussite en Licence ». Beaucoup d’étudiants issus de la classe ouvrière se s’orienteront jamais si tôt vers l’enseignement. C’est souvent après quelques années d’études qu’ils prennent conscience que ces métiers sont à leur portée, la société actuelle ayant pour effet que, spontanément, s’ils ne sont pas enfants d’enseignants, ils pensent l’enseignement réservé à une élite. Plus l’orientation a lieu tôt, plus elle se fait sur des critères purement sociaux.

Casse de la qualité de l’enseignement

Ces nouvelles directives sur la masterisation de l’enseignement répondent à une volonté du gouvernement, et par lui de la bourgeoisie en général, d’en finir avec un enseignement de qualité au lycée (cf. l’article d’Antoni Mivani dans ce même numéro). La volonté du gouvernement est claire : il s’agit de « passer dans les concours de recrutement des professeurs d’une logique de revalidation du niveau universitaire à une logique de recrutement conforme aux besoins de l’employeur ».

Certes, le gouvernement prétend, avec une telle réforme, chercher « l’élévation du niveau de recrutement et une amélioration de la qualité de la formation ». Mais en réalité, les trois attendus pour un enseignant seront désormais la culture disciplinaire (et non pas la connaissance), la capacité à organiser et planifier un enseignement et la connaissance du service public de l’enseignement. Les compétences disciplinaires sont mises sur le même plan que la « connaissance » du labyrinthe des réformes successives !

Concrètement, les nouveaux concours compteront deux épreuves. La première, d’admissibilité, aura lieu à l’issue du premier semestre universitaire et l’épreuve d’admission à la fin du second. Que feront le restant de l’année les étudiants ayant échoué à l’épreuve d’admissibilité ? Ils iront travailler chez Mac Do en attendant l’année suivante ? En outre le décalage des écrits à janvier (au lieu de mars ou avril actuellement) raccourcit le temps de préparation proprement dite des concours, dont les programmes sont connus avant les vacances d’été.

C’est pendant la seule épreuve d’admissibilité que seront évaluées les connaissances du candidat. Les critères cependant porteront sur la « culture générale disciplinaire » et, au lieu d’apprécier les connaissances du candidat, c’est la manière dont il les « réinvestit » dans « l’étude des programmes d’enseignement secondaire » qui sera évaluée.

Pour l’oral, la réforme entend ajouter à l’exercice pédagogique demandé jusqu’ici une épreuve d’entretien avec un jury, ajoutée également à l’épreuve de l’agrégation. « L’entretien avec le jury permet de vérifier les connaissances du candidat relatives aux valeurs et aux exigences du service public, au système éducatif et à ses institutions et de manière plus générale à son aptitude à exercer le métier de professeur de collège et de lycée. » C’est en réalité un pur et simple formatage que va impliquer cet entretien. Que signifie la connaissance des « valeurs » du service public ? La maîtrise des dernières contre-réformes du gouvernement ? Son accord avec ces dernières ? Ne pourra-t-on pas considérer les opinions politiques d’un étudiant comme des critères disqualifiants ?

La conception qu’a le gouvernement de cette épreuve ne laisse plus de doute quand on apprend qu’il entend « impliquer dans le recrutement [des enseignants] des personnels de direction, des membres de l’administration et la hiérarchie de l’éducation nationale, ainsi que des membres de la société civile ». Des chefs d’établissements, des chefs d’entreprise et des responsables administratifs du Ministère auront désormais leur mot à dire sur le recrutement des enseignants !

Cette « épreuve » pourrait même être la porte ouverte au recrutement par piston, copinage voire pot-de-vin.

Des étudiants « prêts à l’emploi », mais à un seul emploi...

Que vont devenir les étudiants ayant validé leur master « enseignement », voire leur licence de la même mention, mais qui échoueront au concours — rappelons que le nombre de places a été considérablement réduit ces dernières années et va continuer à diminuer chaque année ? Le gouvernement prévoit des « passerelles », en réalité de véritables moyens de pression, poussant les étudiants à accepter n’importe quelle formation ou emploi.

Et c’est ainsi que le gouvernement prétend répondre aux difficultés que rencontrent les enseignants du primaire et du secondaire, en niant honteusement la réalité à laquelle ils sont confrontés : classes surchargées, élèves venant de milieux défavorisés, avec des parents qui, contraints de travailler souvent très loin de chez eux, ont peu de temps à passer avec leurs enfants, ce sont là les véritables problèmes à résoudre, et qui ne relèvent pas de la qualité des enseignants. C’est le budget de l’Éducation nationale qu’il faut augmenter, notamment pour réduire le nombre d’élève par classe !

• Non à la masterisation des concours de l’enseignement !

• Non à leur réforme !

• Pour le rétablissement des places aux concours de la fonction publique autant que de besoin !

Cette contre-réforme, dans le contexte de la crise, peut ouvrir la voie à une mobilisation étudiante

Dans le dernier numéro du CRI des travailleurs, nous jugions que la situation n’était pas mûre pour qu’un mouvement démarre chez les étudiants : faisant partie des secteurs défaits l’année dernière, il ne pouvait être parmi les premiers à partir cette année. De plus, aucune nouvelle réforme clef n’était annoncée, qui aurait permis de lier les étudiants autour d’un mot d’ordre. Nous estimions donc juste de poursuivre une campagne sur l’aide sociale, dans un but d’information sur la précarité étudiante, et dans une démarche de syndicalisation, notamment pour rassembler des forces pour les luttes à venir.

La crise économique telle qu’on en voit apparaître les premiers effets va contraindre la bourgeoisie à redoubler ses attaques. Lors du discours de Toulon, ce sont 36 000 suppressions de postes de fonctionnaires que Sarkozy annonçait, dont 13 300 dans l’Éducation. Et c’est entre autres pour pouvoir sauver les banques de la faillite que l’État en appelle à « l’unité nationale » et à de drastiques économies dans le secteur public.

La mastérisation de l’enseignement n’est qu’une contre-réforme parmi celles que le gouvernement va faire subir à l’université : le système des CROUS est en train d’être lui aussi remis en question (rapport Lambert) ; un décret vient de paraître qui, en application de la loi LRU, s’attaque au statut des enseignants-chercheurs en prévoyant que les conseils d’administration pourront moduler leur nombre d’heures d’enseignement selon les résultats » de l’universitaire, en clair selon son degré de soumission aux exigences « autonomes » du Conseil d’administration, dans le cadre d’universités par ailleurs de plus en plus ouvertes aux patrons et à leurs impératifs. Mais en remettant aussi directement en question les diplômes de l’enseignement, en les soumettant ouvertement aux aléas du marchés et aux besoins de l’idéologie dominante, le gouvernement réalise une réforme susceptible de cristalliser la colère des étudiants dans un mouvement qui les unirait à la classe ouvrière : contre ce nouveau pas dans la destruction des diplômes nationaux garantis sur le marché du travail, contre la soumission du savoir aux besoins du marché !

Dans cette situation, l’UNEF elle-même appelle, avec des syndicats de l’enseignement supérieur, à la tenue d’assemblées générales. Elle entend ainsi rattraper le discrédit qu’elle a subi l’an dernier en soutenant pour l’essentiel la loi LRU et en étant donc à la remorque du mouvement étudiant contre cette loi. Mais, dans son appel à la mobilisation, l’UNEF se contente d’appeler « le gouvernement à prendre la mesure de la situation et demande à Valérie Pécresse des réponses pour protéger les étudiants de la crise et de ses conséquences sociales ». Bref, elle appelle elle aussi le gouvernement à la rescousse, comme un « sauveur suprême » avec qui il s’agirait de « négocier », au lieu de préparer les étudiants à le combattre et à mettre en échec ses réformes. L’UNEF ne mettra donc rien en œuvre pour que ces AG puissent être un pas en avant vers une mobilisation.

Les directions syndicales de l’enseignement supérieur appellent à une journée d’action le 20 novembre. Pour elles, il s’agit évidemment d’une journée rituelle, sans lendemain et sans perspective. Cependant, pour les militants de lutte, il peut s’agir d’un point d’appui intéressant vers la construction d’un mouvement, fût-il limité. Il faudra donc appeler à cette journée sur nos propres mots d’ordre et en expliquant que c’est seulement par l’instauration d’un rapport de forces, donc par la grève en liaison avec les travailleurs refusant de payer la crise, que l’on fera reculer ce gouvernement qui légitime des milliers de licenciements, détruit le contenu des enseignements, démantèle le statut de fonctionnaire, tandis que dans le même temps il sauve ses banques de la faillite en les renflouant de milliards d’euros.

Ces premières AG devront être l’occasion d’un travail d’information maximal sur le contenu des réformes. Notre rôle est de permettre les conditions d’un mouvement, tout en indiquant clairement aux étudiants les difficultés de le construire. Car si une nouvelle situation peut s’ouvrir, la défaite qu’ont subie les étudiants l’an dernier continue de peser. Plus que jamais, la question de la convergence des luttes sera centrale : elle est le seul moyen pour permettre aux étudiants de surpasser leur défaite de l’an passé contre la LRU. En particulier, il faudra mettre nos revendications en lien avec celles des enseignants du primaire et du secondaire.

La division du syndicalisme étudiant de lutte est un obstacle de plus à la construction d’un mouvement. Le poids qu’un syndicat de lutte unique pourrait avoir face à l’UNEF permettrait le lancement bien mieux assuré d’un mouvement étudiant. Un pas supplémentaire vers cette indispensable fusion-recomposition du syndicalisme étudiant de lutte a été franchi le 25 octobre dernier, lors d’une réunion entre des sections de SUD et de la FSE (la CNT et la SEUL étant venues en observateurs). Les discussions se sont polarisées sur certaines questions mais ont malgré tout montré de larges points communs entre les deux syndicats de lutte. Les sections présentes des deux organisations affichaient une volonté claire de construire un travail en commun et d’aller vers un rapprochement. Les discussions devront se poursuivre pour pouvoir mener à un congrès fondateur, mettant sur pied un nouveau syndicat de lutte.

Aide sociale étudiante : non au rapport Lambert !

Le 8 septembre dernier, un rapport intitulé « Un réseau d’agences pour la vie étudiante » (ou « rapport Lambert » du nom de son rédacteur) a été remis à V. Pécresse. Ce rapport annonce un pas décisif dans le processus de désengagement de l’État de l’aide sociale aux étudiants.

Aujourd’hui, il existe en France un système d’aide sociale aux étudiants : bourse, cité U, restau U... Ce système est clairement insuffisant, mais géré et financé par l’État via les CROUS, il garantit un certain niveau d’aide sociale. Le rapport Lambert préconise la transformation des CROUS en « Agences pour la Vie Étudiante » (AVE), organismes décentralisés, partiellement financés et gérés par les collectivités et entreprises locales. La « gouvernance » serait rénovée, dans une logique de « performance ». En un sens, il s’agit de la même logique que la LRU, qui vise à accorder l’« autonomie », ici aux Universités, là aux CROUS, et les soumet ainsi aux besoins du patronat au détriment de l’intérêt des étudiants et des personnels. D’ailleurs, certaines AVE seraient associées aux PRES (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur) correspondants, accentuant par là même les inégalités entre universités.

Cette décentralisation va généraliser et accentuer la logique de rentabilisation de l’aide sociale : les tarifs des restau U et des cités U, moins encadrés nationalement, pourront exploser. À terme, les bourses sur critères sociaux, dont les montants et les conditions d’attribution sont aujourd’hui fixés nationalement, seront menacées.


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